« La pérennité de ce mouvement de relocalisation dépendra de la corrélation entre stratégie RSE et stratégie business au sein des entreprises. »
Selon le baromètre annuel de l’Usine du Futur*, publié en décembre 2021 par Trendeo, les investissements de relocalisation en France ont très fortement augmenté. On constate globalement 45 relocalisations en France pour la seule année 2021. Trendeo souligne qu’elles ont été favorisées par les subventions de France Relance et que ce sont les PMEs qui sont davantage concernées. Cette hausse inédite, si l’on regarde l’historique sur les 30 dernières années, préfigure-t-elle une tendance profonde et durable ?
*Source : www.trendeo.net/assets/mdploads/2021/12/Barometre_industrie_mondiale_2021.pdf
Source : Baromètre annuel de l’usine du futur, Trendeo, 12/2021
Un nouveau consensus
La crise sanitaire et ses conséquences et, plus récemment, la guerre en Ukraine, sont autant de facteurs conjoncturels qui expliquent ce nouveau mouvement de relocalisation. Les risques se sont, en effet, multipliés avec un fort impact sur les coûts et la continuité des flux : envolée des prix du pétrole et des énergies fossiles, augmentation des matières premières, pénuries de conteneurs. Face au constat de la fragilité de leurs chaînes d’approvisionnement, les entreprises internationales se voient forcées de repenser leurs flux logistiques. Elles ont élaboré diverses stratégies de sécurisation à court terme avec le multi-sourcing ou à moyen terme avec la conclusion de partenariats locaux.
«Des risques critiques d’approvisionnement qui interrogent les entreprises sur leur modèle de développement.»
Ces actions correspondent à des mesures d’urgence et ne renseignent pas sur la pérennité de celles-ci. On se souvient, en effet, de la fermeture brutale d’unités de production de masques en France, dès que les usines chinoises ont été de nouveau en mesure de fournir la demande. Plus globalement, la crise a mis au jour des dépendances profondes à l’égard de certaines zones géographiques lointaines (Inde, Chine) sur certains secteurs ou lignes de produits. Le mouvement croissant de concentration des entreprises concomitant aux délocalisations depuis une trentaine d’années a également entraîné une convergence des approvisionnements des grandes entreprises vers des sources uniques de matières et composants. C’est le cas par exemple des molécules du paracétamol, exclusivement fabriquées en Inde, dont la fermeture des frontières pendant la crise a créé une gigantesque pénurie internationale pour les industries pharmaceutiques. Ces risques sont aujourd’hui devenus critiques et interrogent plus largement les entreprises quant à leur modèle de développement et leur stratégie de long terme.
Le groupe Seqens, spécialisé dans des ingrédients de spécialité pour l’industrie pharmaceutique, a ainsi rapatrié la production de la molécule de paracétamol dans une unité en France. Cette décision a été rendue possible grâce à la conjonction de trois facteurs : un avantage compétitif (l’innovation dans des procédés de production permettant la compétitivité des coûts et le moindre impact environnemental de la production), des garanties de carnet de commande (l’engagement de leur clients Sanofi et UPSA négocié sur 10 ans) et, enfin, des incitations financières (financement partagé avec l’État pour l’investissement CAPEX représentant 100 millions d’euros).
Parallèlement, des facteurs structurels viennent également consolider cette tendance et notamment, la nécessaire décarbonisation de l’économie à la suite des Accords de Paris de 2015. La Stratégie Nationale Bas Carbone a traduit de façon opérationnelle ces accords pour la France et fixe les objectifs chiffrés en termes de diminution des émissions de GES* pour l’ensemble des secteurs à un horizon de moyen et long terme (2030/2050). Les entreprises prennent des engagements qui viennent ainsi structurer leurs décisions stratégiques. Un deuxième facteur est l’anticipation de la poursuite de l’engagement de l’État, au travers du programme de France Relance de 100 milliards d’euros initié en septembre 2020. Le programme invite les entreprises à repenser leur modèle de production et apporte le soutien financier indispensable pour accompagner ce mouvement de réindustrialisation.
*Gaz à Effet de Serre
«un soutien financier étatique indispensable pour accompagner ce mouvement de réindustrialisation»
Convergence durable des intérêts ?
Au demeurant, pour que cette tendance se confirme, il faut qu’un alignement durable entre les différentes attentes des acteurs s’opère. On observe que l’approche ponctuelle de mitigation du risque via la diversification et le rapprochement géographique des sources d’approvisionnement s’élargit au sein des directions stratégiques à une vision plus long terme. Cohérentes avec les politiques RSE au point de vue environnemental (décarbonation) et sociétal (ancrage territorial), les stratégies de relocalisation viennent donc à la fois renforcer l’impact positif des entreprises (emploi local et développement territorial, diminution des émissions de GES) et s’aligner avec les stratégies business (time to market, agilité, continuité de l’activité).
Cette convergence stratégique au sein des entreprises et celle de leurs intérêts avec ceux de l’Etat (créations d’emplois, amélioration du PIB et de la compétitivité nationale) et des collectivités territoriales (développement local) vient donc conforter cette tendance à la relocalisation et semble l’ancrer dans la durée.
Il faut noter toutefois que le fléchage des investissements est ciblé vers des secteurs stratégiques (Santé, intrants critiques, électronique, agroalimentaire et applications industrielles de la 5G). On ne peut donc pas parler d’opportunités de relocalisation équivalentes pour toutes les entreprises (en raison de l’importance potentielle des investissements) ni pour tous les secteurs. Les secteurs polluants, peu robotisés ou à très bas coûts ne rendent, en effet, pas viable ou souhaitable le changement de stratégie.
La pérennité de ce changement dépendra donc de la coordination des acteurs et de la corrélation entre stratégie RSE et stratégie business au sein des entreprises.
«les secteurs polluants, peu robotisés ou à très bas coût ne rendent pas viable le changement de stratégie.»
De l’opportunisme à la vision stratégique
Tous les acteurs (collectivités, fédérations, entreprises) confirment, en effet, que le facteur clé de succès de la démarche réside dans l’adéquation entre l’offre et la demande et l’implication collective de tous les acteurs, publics et privés. L’offre englobe ici les conditions dans lesquelles peut s’effectuer la relocalisation (territoire, compétences, investissements, …). La demande recouvre le marché à qui elle s’adresse (attentes des clients, donneurs d’ordre, consommateurs, collectivités pour un besoin local). Tout projet de relocalisation devra ainsi faire l’objet d’une analyse approfondie en amont, sur la chaîne de valeur et ses points critiques, sur la demande réelle et durable des clients, sur les opportunités en termes d’innovation, de conditions locales et de financement de projet.
Auteur : Alix de Lavergne
Fondatrice d’ActivyourCSR
Mai 2022
Note :
«GES» : Gaz à effet de serre